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L'avalanche est certainement l'accident type où la rapidité d'intervention peut conditionner les chances de survie. Plus personne n'ignore la courbe de survie de Brugger (voir l'article : Chances de survie pour les victimes d'avalanche) maintes fois reprise pour sensibiliser sur la nécessité d'être rapide et efficace.
Si la rapidité dépend souvent de paramètres que nous ne maîtrisons pas entièrement, comme la localisation difficile, le transport sur les lieux, la météorologie, etc., nous avons le devoir en tant que professionnels, spécialistes et pratiquants, d'être efficaces.
Cette efficacité passe par une formation adaptée bien sûr, mais aussi par une pratique et un entraînement réguliers.
Voici donc quelques pistes pour parfaire cette efficacité et donner encore plus de chances aux victimes d'avalanches.
L'arrivée des sauveteurs sur l'avalanche ou l'intervention de montagnards présents sur le site ne doit pas se traduire par une action précipitée et désordonnée, et faire oublier les règles élémentaires de prudence.
Une analyse sereine de la situation commence par une quête visuelle, une recherche d'indices et une prise de renseignements et de témoignages. Le ski qui dépasse de la neige à vingt mètres du sauveteur en train de s'exciter sur son Arva et qui part, l'œil rivé sur sa diode lumineuse, n'est malheureusement pas une légende.
Ma lucidité initiale m'a donc permis de localiser rapidement la victime. Je me sens tout proche et sur le point d'aboutir. Encore faut-il pouvoir la situer précisément et surtout la dégager !
Le sac est sur le dos, la pelle et la sonde sont à la main dès le début de la recherche.
Le dégagement
Enfin ma sonde touche au but et il faut creuser. Là encore, il faut faire preuve de jugement et optimiser les efforts. Bien sûr, la configuration du terrain peut m'imposer une technique de dégagement. Mais il ne faut pas oublier qu'une victime au fond d'un cône de plus d'un mètre est difficile à gérer.
Je préfère un accès latéral, coordonné au creusement le long de la sonde que j'aurai pris soin de laisser en place.
Avantages :
Le travail sera bien sûr plus facile si au moins deux personnes creusent.
Une fois la jonction faite avec la victime, je creuse afin de dégager la tête. Cependant une stimulation de la partie découverte peut déjà renseigner sur l'état de conscience de l'enseveli.
L'observation au dégagement de la tête
En dégageant la tête, attention, une observation minutieuse peut apporter des renseignements majeurs quant à la marche à suivre médicale (poursuite ou non de la réanimation).
Bien se souvenir de ces éléments et les fournir à l'arrivée du médecin ou des sauveteurs.
Faire le bilan vital
Après ces observations importantes, un bilan des fonctions vitales est pratiqué sans attendre le dégagement complet. Il s'agit là de la procédure classique de secourisme conforme aux protocoles enseignés : Conscience/Ventilation/Circulation.
Pour vérifier si la personne est consciente, je l'appelle, lui demande si elle m'entend et de réagir à un ordre simple " Hé ho ! vous m'entendez ? Ouvrez les yeux ou serrez-moi la main ". Je lui serre également la main ou lui touche la joue.
Si elle ne répond pas, je m'assure qu'elle respire. C'est la chose la plus délicate à faire car souvent c'est peu visible (manque d'amplitude), pas bruyant et difficilement détectable, surtout s'il fait froid, s'il neige, s'il vente ou s'il fait nuit. Je conseillerais de ne pas perdre de temps et sans réfléchir d'insuffler deux fois immédiatement.
Si la personne respirait déjà, elle vous le fera vite savoir (toux, mouvements d'agitation) !
Si elle ne respire pas ou ne réagit pas aux deux insufflations, c'est le dégagement rapide du thorax (si ce n'est déjà fait) et l'attaque d'un massage cardiaque. Il est préférable d'avoir déjà vu ces gestes largement enseignés dans de multiples formations.
Si nous sommes plusieurs, parallèlement, certains prendront soin de parfaire le dégagement, d'élargir la plate-forme autour de la victime et de lui retirer skis, bâtons, surf, raquettes et autre sac à dos.
Si aucun risque de sur-accident n'est à craindre, j'évite de déplacer la victime et j'améliore l'entrée du trou pour qu'elle bénéficie d'un abri acceptable. Ouf ! elle respire
Elle respire mais est inconsciente. Je maintiens le plus possible l'axe tête-cou-tronc et je la place sur le coté afin qu'elle ne s'étouffe pas en cas de vomissement (Position Latérale de Sécurité).
Je l'isole au mieux du froid (tapis de sac, corde, skis, couvertures de survie, vêtements) et la surveille attentivement en attendant l'arrivée des secours.
Si la victime est consciente, c'est encore mieux. L'important c'est qu'elle le reste. Pour ne pas aggraver son état, je ne l'oblige pas à se lever ou à se mouvoir inutilement. Je maintiens le mieux possible l'axe tête-cou-tronc, l'isole du froid et tente de la réchauffer.
Il est important de pouvoir l'allonger.
Un bilan lésionnel complémentaire est alors fait pour identifier les éventuels autres traumatismes (plaies, fractures, autres douleurs).
La prise du pouls et de la fréquence respiratoire à intervalles réguliers intéresseront le médecin à son arrivée. S'il se fait attendre, ces informations pourront être données par radio ou téléphone et aideront certainement dans le choix de la stratégie thérapeutique.
Quel que soit l'état de la victime, je suspecte toujours un traumatisme grave (colonne, crâne, hémorragie interne). J'observe tout comportement particulier comme l'agitation, l'abattement et l'évolution dans le temps.
L'hypothermie
Tout blessé en montagne va se refroidir, a fortiori s'il est enseveli. Chez une victime indemne, l'hypothermie va donner des manifestations de frissons, de troubles neurologiques et de la conscience.
Chez l'avalanché, tous ces signes peuvent être dus également à d'autres causes.
Sur une victime inconsciente, je suspecte systématiquement une hypothermie grave ou profonde (- de 28°). La priorité est d'empêcher la chute de température. Je l'isole alors le mieux possible du froid. Je sais qu'il est illusoire de la réchauffer en dehors du milieu hospitalier, mais je fais le maximum car, même dégagée, la victime continue à se refroidir.
Si la victime est consciente, l'hypothermie est généralement moyenne ou légère (+ de 30°). Un réchauffement est possible si j'en ai les moyens (locaux chauffés, chaufferettes).
La consommation de boissons et d'aliments chauds est réservée aux victimes conscientes qui ne pourraient pas être évacuées rapidement (évacuation terrestre par moyens de fortune). L'observation reste de rigueur : pâleur, arrêt des frissonnements, abattement sont des signes d'aggravation de l'hypothermie. Je considère que tout avalanché est hypotherme et le traite comme tel. L'existence de blessures peut aggraver le refroidissement.
Aïe ! C'est le pire des scénarios, surtout si je suis seul à pouvoir intervenir. Il n'y a là aucune recette miracle, tout au plus quelques idées et aides à la décision.
Le plus important et qui nous fait le plus défaut dans une situation à fort stress, c'est une bonne dose de bon sens.
Analysons une situation type :
Mon Arva capte plusieurs signaux et me conduit rapidement à proximité du premier enseveli. Le sondage m'indique une profondeur minime (±1 mètre). Je creuse, dégage partiellement et procède au bilan vital.
Une analyse méticuleuse et une réflexion teintée de bon sens pourront toutefois m'aider dans mes choix.
De toute façon je dois faire un choix et ne pas trop me poser de questions. Les facteurs affectifs et psychologiques se chargeront de me compliquer la tâche (c'est ma femme, mon frère, mon ami). Dans le cas où des victimes sont trouvées partiellement dégagées et conscientes, je sais que celles qui font le plus de bruit ne sont pas forcément les plus urgentes à traiter.
La situation n'est pas désespérée, mais il faut toutefois redescendre notre victime. Une simple fracture ou entorse du genou peut devenir dramatique si elle oblige une nuit à la belle étoile par -30° ou en pleine tempête. Heureusement, le sac du professionnel ou du montagnard averti que je suis, regorge de cordes, cordelettes, sangles et autres mousquetons, de quoi bricoler un traîneau, un brancard ou un cacolet de fortune. Avec un peu d'astuce, j'aurai vite fait de confectionner une attelle, une minerve ou un pansement.
Préparation de la victime
J'ai fait tout ce que j'ai pu pour la préserver médicalement. Il me reste à la préparer à sa médicalisation et à son évacuation.
• Je l'habille chaudement et la prépare au souffle de l'hélicoptère (explications, masque). Je fixe solidement les vêtements et couvertures de survie.
• J'élargis la plate-forme pour faciliter le travail des sauveteurs et du médecin.
• J'effectue une dernière prise du pouls et de la fréquence respiratoire pour la communiquer aux sauveteurs dès leur arrivée.
Préparation du reste du groupe
Le reste du groupe n'est pas à négliger. Certaines personnes peuvent être choquées et seront à prendre en charge par les sauveteurs. Je surveille tout particulièrement les proches (famille) des victimes.
> Je regroupe personnes et matériels.
> Je veille à tout ce qui peut s'envoler.
> Je fais plier les sondes et coucher skis et bâtons.À l'arrivée de l'équipe de secours
À l'approche de l'hélicoptère, je signale ma présence (bras en Y, fusée).
Dès l'arrivée des sauveteurs :
Réflexions...
Je peux m'étonner d'être mis sur la touche par l'équipe des sauveteurs à leur arrivée. Certes, je suis fatigué, choqué aussi, mais après tout ce que je viens de faire, j'ai du mal à passer le relais. J'ai un peu un sentiment... presque de culpabilité, surtout de responsabilité.
Je me sens responsable des évènements, des démarches, des gestes entrepris et des conséquences qui en découlent.
J'ai du mal à comprendre et à accepter la lenteur des secours, la froideur des sauveteurs, cette neutralité dont j'aurais pourtant aimé m'armer lors de mon intervention.
Je sais pourtant qu'il faut cette réflexion, ce recul et ce sang-froid pour gérer le secours avec efficacité, sérieux et rigueur.
Il en va de la sauvegarde de tous, pratiquants et sauveteurs.